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Brothers of the Night voir ce complet film bonne qualite

Brothers of the Night - la critique du film

L'argument : De frêles garçons le jour, des rois la nuit. Ils sont jeunes, roms et bulgares. Ils sont venus à Vienne en quête de liberté et d’argent facile. Ils vendent leurs corps comme si c’était tout ce qu’ils avaient. Seul les console, et parfois les réchauffe, le sentiment si rassurant d’appartenir à un groupe. Mais les nuits sont longues et imprévisibles.

Copyright WildART Film

Pour beaucoup, Boys Like Us (2014) ne fut jamais qu’un banal buddy-movie dépressif et acidulé. Un second essai loin des premiers éclats de Domaine (2009), long-métrage initial de Patric Chiha porté par Béatrice Dalle. Pourtant, cette escapade douce-amère de trentenaires homosexuels en déroute entrecoupée de saynètes tragi-comiques préparait assez nettement la mutation à venir du cinéma de son auteur. Par-delà ses sédiments gaguesque et sa légèreté, le film distillait aussi une tranche de réel plus grave et nostalgique. C’est précisément de cette rencontre entre fiction et vérité, liberté et claustration, que Brothers of the Night tire ses nuances. En basculant cette fois dans le documentaire, Patric Chiha projette ses obsessions dans les territoires du réel. Sa caméra suit des adolescents roms et bulgares venus chercher fortune en Autriche dans les réseaux gays de prostitution – dont le cadrage stylisé veille bien toujours à ne filmer ces acteurs-nés qu’en dehors de leurs passes. dans la rue, dans les bars. Aucun misérabilisme ni voyeurisme dans cette série de portraits nocturnes sensibles, sinon une empathie latente pour chaque sujet, un amour se dégageant de chaque plan. Deux représentations de la réalité s’opposent dans Brothers of the Night. d’un côté l’enregistrement authentique des soirées alcoolisées des adulescents se racontant leurs exploits en marge des bistrots où ils ont coutume de vendre leur corps ; de l’autre la mise en scène fantasmagorique de ce réel à travers le prisme du merveilleux.

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Plutôt qu’une photographie trop tangible de ce monde glauque de la nuit empli de tristesse et d’abandons, Patric Chiha en saisit la dualité chimérique par effet miroir. En découle un univers imaginaire où ces mêmes jeunes hommes filmés quelques plans auparavant dans la détresse, se rassurant en pianotant sur leur smartphone ou se blottissant les uns contre les autres pour contrer le froid, endossent des rôles cathartiques. Comme s’il leur était permis un court instant de passer de l’autre côté du miroir et d’échapper à la douleur de l’existence. Over the rainbow, le dispositif s’apparente aux espaces mentaux de Rainer Werner Fassbinder, lorgnant même chez Pasolini ou - pour la tendre bestialité - du côté de Kenneth Anger. À l’instar du cinéaste allemand et de son mentor Douglas Sirk, les tonalités polychromes et la manière dont chaque lumière lézarde l’obscurité font sens. À travers cette colorisation délicate, les teintes saturées (roses, bleues, rouges) se répètent et se diffractent par échos. Outre la volonté d’induire une abstraction lyrique et donc de l’affect, cette construction vise également à contrer l’idée expressionniste d’un affrontement entre lumière et ténèbres - pas de manichéisme dans ces péripéties noctambules. C’est que malgré l’obscurité, la noirceur ne peut exister par elle-même, n’étant qu’un interstice où s’estompe la clarté. Ainsi grâce à ces lueurs psychologisantes, Patric Chiha tempère - sans atténuer - un tableau au demeurant assez sinistre de la nuit et d’un sous-prolétariat du sexe.

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Étrangement, l’indéterminisme sexuel et les élans d’ivresse de ces protagonistes - qui rappellent aussi les Kids et Wassup Rockers de Larry Clark -, renvoient par moment l’image d’une désinvolture séduisante. Comme si la nuit et l’enivrement, au sens poétique, pouvaient débarrasser chacun de ses chaînes et offrir une sorte d’éternité. Par ce basculement, le microcosme d’afflictions se métamorphose en sphère anonyme, intervalle onirique porté par une BO splendide où des hommes en marinière échangent des regards fiévreux entre fanfaronnades et récits âpres. Sans chronologie nette, tissant des histoires d’amour entre ses héros intrinsèquement cinégéniques par la force du montage, ou déjouant une réalité trop glacée par des structures elliptiques et sinueuses, Chiha signe un quasi chef d’œuvre et affirme sa singularité. Se gardant de dénoncer l’indigence ou d’explorer ce royaume mystérieux en sociologue, le réalisateur austro-libanais transforme ces "frères de la nuit" en véritables personnages de cinéma - suffisant néanmoins pour illustrer en creux les inégalités géopolitiques et économiques de l’Europe. Remarqué à la Berlinale 2016 et aux EntreVues de Belfort, Brothers of the Night déploie à l’évidence une intensité de cinéma hors-norme.